S. Huebner: Pan-Asian Sports and the Emergence of Modern Asia, 1913–1974

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Titel
Pan-Asian Sports and the Emergence of Modern Asia, 1913-1974.


Autor(en)
Huebner, Stefan
Erschienen
Singapur 2016: NUS Publishing
Preis
€ 39,99
von
Grégory Quin

Les approches internationales et transnationales dans l’histoire du sport n’en sont encore qu’à leurs prolégomènes, mais Stefan Huebner nous en propose incontestablement un exemple réussi autour du cas asiatique dans son Pan-Asian Sports and the Emergence of Modern Asia, 1913–1974. En effet, l’historien allemand souligne plusieurs enjeux majeurs de l’historiographie du sport: la continentalisation comme étape-clé de l’essor du sport au vingtième siècle, le développement de compétitions sportives continentales, l’émergence de «sentiments» ou d’«imaginaires» continentaux, mais aussi plus largement les dimensions culturelles, politiques, sociales, économiques ou encore diplomatiques entourant les grands événements sportifs. Dans les faits, Stefan Huebner se donne une double tâche, de scruter la diffusion d’une mission civilisatrice de l’Occident vers l’Asie à travers le sport, d’une part, et l’organisation de compétitions continentales (considérées comme «régionales» dans le jargon olympique depuis l’entre-deux-guerres), d’autres part.

De fait, l’émergence de sentimentaux d’appartenance «continentaux» n’est pas une chose aisée à analyser et de récents travaux, comme ceux de Philippe Vonnard autour de l’exemple du football européen, en témoignent, mais l’entrée par les compétitions – en ce qu’elle a de plus originale – permet de réaliser ce projet ou en tout cas de l’envisager plus précisément. En effet, l’analyse minutieuse des compétitions permet de comprendre de manière synchronique les trois principaux groupes d’acteurs de la sphère sportive, à savoir les sportifs eux-mêmes, les organisateurs et les spectateurs. Si les organisateurs (issus du mouvement sportif ou des différentes administrations publiques) peuvent avoir des intentions politiques ou diplomatiques objectives et déclarées, il ne faut pas minimiser le rôle joué par les sportifs eux-mêmes, ni le développement de sentiments d’appartenance chez les spectateurs qui profitent inévitablement des compétitions sportives pour appréhender les frontières de leur monde. De ce point de vue, l’entrée dans l’histoire par les compétitions sportives – notamment lorsqu’une comparaison peut être entreprise (il ne servirait à rien de comparer des jeux olympiques et des jeux continentaux) – si elle est encore trop rare, est un point fort de la démarche mise en oeuvre dans Pan-Asian Sports and the Emergence of Modern Asia.

L’ouvrage de Stefan Huebner procède aussi d’un important travail d’archives, que l’auteur a réalisé à la fois en Europe (notamment dans les archives olympiques), en Amérique du Nord, mais aussi en Asie, directement dans les différents pays concernés par les organisations. Ce travail de récolement minutieux constitue l’un des points forts du livre. Il invite son lecteur à penser depuis le document d’archive lui-même, tout en proposant un exemple réussi d’une histoire empiriquement justifiée et validée. Notons encore qu’alors certaines tentatives historiennes ont pu avoir tendance à ne s’appuyer que sur les documents occidentaux, ici les archives «asiatiques» sont mobilisées pleinement.

L’ouvrage est articulé autour des sept éditions des «Asian Games» (les «Jeux Asiatiques») organisés entre 1951 à 1974 successivement en Inde, aux Philippines, au Japon, en Indonésie, en Thaïlande (deux fois consécutivement) et en Iran. La structure chronologique des chapitres facilite clairement la lecture des différents cas, cependant force est de souligner que cela donne aussi parfois l’impression que l’auteur se concentre sur des contextes nationaux (toujours présentés de manière liminaire dans les chapitres), voire abuse d’un effet de contexte «national» au détriment d’une analyse comparative plus poussée des sentiments ou des cheminements parallèles à l’échelle du continent asiatique. Néanmoins, cela ne peut constituer en soi un reproche à l’ouvrage tant sa richesse est déjà une ouverture majeure dans l’historiographie. Bien au contraire, il faudrait considérer ces éléments comme des opportunités pour prolonger les analyses autour du cas asiatique, mais aussi pour travailler différemment autour d’autres cas continentaux et pour promouvoir plus fermement les approches comparatives dans l’histoire du sport.

Au final, Pan-Asian Sports and the Emergence of Modern Asia demeure une lecture fascinante pour les amateurs d’histoire du sport, mais l’ouvrage souligne aussi que cette dernière est bien davantage que celle d’un spectacle ou d’un passe-temps. Faire de l’histoire du sport, c’est bien faire l’histoire de notre modernité, en ce qu’elle a de plus charnel. Surtout il constitue un témoignage de la nécessité de prendre en compte le phénomène sportif dans les histoires contemporaines. De fait, le lecteur intéressé par les dynamiques de la décolonisation (et plus largement de la Guerre froide) trouvera ici bien davantage qu’une simple illustration «dans la sphère sportive». Stefan Huebner réussit en effet à présenter le rôle même du sport dans les dynamiques les plus profondes de l’émancipation du continent asiatique, notamment dans sa capacité à créer du sentiment «continental» et à rendre tangible les «frontières» d’un continent qui s’étend de la Mer Noire aux Philippines et des deux Corées à Singapour.

Zitierweise:
Grégory Quin: Stefan Huebner: Pan-Asian Sports and the Emergence of Modern Asia, 1913–1974, Singapore: National University of Singapore Press, 2016. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 69 Nr. 3, 2019, S. 476-471.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 69 Nr. 3, 2019, S. 476-471.

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